Emile Gaudard (1856-1941)
Grandes figures vaudoises
Né en 1856 à Vevey, Emile Gaudard appartient à une famille aisée de la Riviera. D’ailleurs étudiant en droit à l’Académie de Lausanne et membre de la Société de Belles-Lettres, ses passions politiques originelles le portent du côté des libéraux. Ce n’est que progressivement qu’il s’oriente vers le radicalisme, dont il deviendra l’un des principaux représentants. Avocat dans sa ville natale, il entre comme libéral au Conseil communal de Vevey en 1882 et le préside en 1893; il ne le quittera qu’en 1914. Député en 1883, il est membre de l’Assemblée constituante de 1884, toujours dans les rangs libéraux. Retiré du Parlement cantonal en 1885, il y retourne 1893, comme radical cette fois. Un an plus tard, il est élu conseiller national. Il sera également juge suppléant au Tribunal fédéral.
Actif aux trois échelons politiques que compte la Suisse, il occupe rapidement un poste clé au sein du parti radical: président du parti cantonal de 1912 à 1924, avec Ernest Chuard comme vice-président, il sera aussi membre du comité du parti suisse, avant d’en prendre la présidence. Il n’est en revanche, pour lui, pas question de se laisser neutraliser dans une fonction gouvernementale. Il refuse le siège laissé vacant par Eugène Ruffy en 1899 et préfère se concentrer sur ses mandats parlementaires et, surtout, économiques. Gaudard symbolise en effet les liens qui s’étaient tissés sous l’égide des radicaux entre la vie politique et la vie économique. Ces liens, les radicaux avaient su les faire fructifier, pour leur bien et pour celui du pays: l’ère des pionniers et des premiers grands travaux d’infrastructure n’est pas encore achevée et les radicaux y jouent un rôle central. Traits d’union entre les centres de décision politiques et économiques, ces derniers contribueront ainsi, et sans trop de souci de collusions possibles, à faire bénéficier la politique de l’expérience de l’économie, et l’économie de sa proximité des leviers du pouvoir politique.
Peu présents dans l’industrie, les radicaux sont en revanche surreprésentés dans le tourisme, le crédit, les chemins de fer, les trois secteurs où Gaudard excelle. Cette forte présence créera des dissensions à l’intérieur du parti avec le groupe paysan, sans doute à la source des futurs conflits entre direction du parti et monde agricole, conflits qui arriveront à incandescence après la première guerre mondiale. Avec un Paccaud, alors vieillissant, ou un Henri Bersier, conseiller national et futur directeur de la Banque cantonale et membre du conseil d’administration de Nestlé, Gaudard apparaît donc comme l’un des stratèges du parti, actifs à la charnière des univers politique et économique. Ils seconderont brillamment les « purs » politiques, comme Félix Bonjour ou le futur conseiller national et conseiller municipal lausannois Sydney Schopfer.
Engagé dans l’hôtellerie et la banque, membre du conseil d’administration de la Société du gaz de Vevey, fondateur de la ligne Vevey-Chamby et Vevey-Puidoux, Gaudard, avant de revêtir la charge d’abbé-président de la Confrérie des vignerons, sera aussi membre du conseil d’administration des Chemins de fer fédéraux, de 1900 à 1912, et de la Banque nationale suisse, de 1907 à 1941. Redouté pour son habileté manœuvrière et son autoritarisme, Gaudard quitte ses mandats politiques dans les années 20: 1925 pour le Grand Conseil et 1928 pour le Conseil national, Conseil qu’il avait d’ailleurs présidé en 1918. Il succombe, comme Bonjour d’ailleurs, à l’arrivée de la nouvelle vague radicale, derrière les Vallotton, Rochat et consorts, qui débarque dans les états-majors du parti sous la présidence de Paul Maillefer, son successeur à la tête du parti. Gaudard décède en 1941.
© Olivier Meuwly, Lausanne 2003