Ernest Ruchonnet (1832-1904)
Grandes figures vaudoises
Né en 1832 à Lausanne, Ernest Ruchonnet est le fils d’un pasteur de l’Eglise libre. Influencé par son milieu d’origine, il suit d’abord la voie paternelle et s’inscrit à la Faculté de théologie libre, tout en adhérant à la Société de Zofingue. La vocation pastorale ne le tenaille toutefois pas. Sa licence obtenue, il renonce à se faire ordonner et accepte un poste de précepteur dans une riche famille industrielle d’Alsace. Il s’intéresse alors à l’industrie, y est actif un temps, puis se lance dans une carrière financière, où il ne tarde pas à dévoiler ses nombreux talents. Il est également remarqué par le futur chancelier de l’Etat de Vaud et colonel divisionnaire Ferdinand Lecomte, par ailleurs biographe de Jomini et ami Helvétien de Louis Ruchonnet. Il aura la mission de remplacer l’illustre militaire, alors bibliothécaire cantonal et rédacteur de la Revue militaire suisse, durant ses fréquentes absences.
Ernest Ruchonnet, cousin au sixième degré de Louis, va bientôt mener de front une activité militaire, qui le voit commander la place de Lausanne lors de l’internement de l’armée de Bourbaki en 1871, et une activité politique. Municipal des finances de la Ville de Lausanne en 1870, il est élu la même année au Grand Conseil. Reconnu comme un expert en matière financière, il est élu au Conseil d’Etat en 1873 et s’empare immédiatement du Département des finances. Il tâche de mener une politique prudente et n’hésite pas à s’opposer à son cousin, plus disposé à sacrifier les réalités financières sur l’autel des principes. Il cherche par tous les moyens à faire des économies, à raboter les budgets. Dans ce sens, il conduit une politique que ne désapprouvent pas les libéraux, qui lui voueront une estime indiscutable.
Peut-être moins impliqué dans la vie du parti radical qu’un Paccaud ou un Vessaz, Ernest Ruchonnet demeure néanmoins un personnage incontournable pour les radicaux en mal de financements pour alimenter leurs grandioses projets ferroviaires, et notamment ce qui doit apparaître comme le couronnement de leur engagement industriel: le percement de tunnel du Simplon. Dès sa nomination à la tête de la Banque cantonale vaudoise en 1881, qui lui permettra d’ailleurs de rejoindre le Grand Conseil, de 1882 à 1885, il participe activement aux divers plans financiers concoctés par Vessaz et Louis Ruchonnet. Que ce soit comme conseiller ou comme membre de divers consortiums financiers, il est en contact permanent avec ses deux camarades de parti.
Omniprésent dans les coulisses ferroviaires du canton de Vaud, il essaiera même de convaincre son cousin d’accepter un poste de directeur de la compagnie de la Suisse Occidentale et du Simplon. Sa démarche se soldera par un échec, parce que Louis Ruchonnet n’a nullement l’intention d’abandonner sa place au Conseil fédéral pour un salaire somptuaire dans l’industrie « ferrugineuse », mais elle dénote le rôle de plus en plus capital qu’Ernest Ruchonnet tend à revêtir dans l’univers des chemins de fers suisses. Et lorsque le directeur bernois du Jura-Simplon est éjecté à la suite des menées de Vessaz, en 1892, c’est logiquement vers lui que se tournent les Vaudois, désormais maîtres du jeu au sein de la compagnie. D’accord de quitter sa confortable position à la Banque cantonale, qu’il laisse à Paccaud, il exhibe rapidement ses compétences et résiste à la chute de Vessaz, un an plus tard. Mieux encore, il se démène pour la réalisation du Simplon et parviendra à conduire l’opération jusqu’à son terme, en mettant en oeuvre la combinaison idéale entre contraintes économiques et exigences techniques. Enfin presque: il décède en 1904, deux ans seulement avant l’inauguration du mythique tunnel.
© Olivier Meuwly, Lausanne 2003