Antoine Vessaz (1833-1911)

Grandes figures vaudoises


Né en 1833 à Chabrey, Antoine Vessaz commence sa carrière modestement, comme employé dans une compagnie de chemins de fer. Entré dans le mouvement radical, il ne tarde toutefois pas à être repéré et, bientôt, commence son ascension au coeur des institutions vaudoises: sous-préfet du district de Lausanne en 1865, il est nommé préfet trois ans plus tard. En 1873, il abandonne son mandat préfectoral et s’engage dans l’aventure ferroviaire, au plus haut niveau. Il accepte l’un des quatre fauteuils directoriaux de la compagnie de l’Ouest-Suisse que le canton de Vaud a pu arracher, au terme d’une énième recapitalisation. Ruchonnet, qui siège encore au Conseil d’Etat, n’est sans doute pas pour rien dans sa nomination: il entretient une veille complicité avec le nouveau directeur, sans doute confortée par leur appartenance commune à la franc-maçonnerie. Et Vessaz n’a-t-il pas soutenu son ami dans ses activités bancaires, comme membre du conseil général de l’Union vaudoise de crédit de 1870 à 1872? Véritable homme de confiance du gouvernement pour toutes les affaires financières, même après le retrait de Ruchonnet du Conseil d’Etat en 1874, il siège également au conseil de surveillance de la Banque cantonale vaudoise, de 1871 à 1891.

Vessaz s’impose dès cette époque comme une éminence grise du parti radical, position qu’il renforce par son entrée au Grand Conseil, en 1871. Vessaz se vouera alors corps et âme à la réalisation de ce qu’il considère comme l’œuvre de sa vie: le percement du tunnel du Simplon. Son passage à la tête de l’Ouest-Suisse est cependant chahuté. Les libéraux l’accusent d’avoir aggravé les difficultés financières de la compagnie; imperturbablement, les radicaux repoussent les assauts. En 1875, tandis que la compagnie se débat dans une nouvelle crise, Ruchonnet doit défendre personnellement la réputation de son ami, durement attaqué. Les libéraux n’en démordent pas, s’acharnent sur Vessaz, s’opposent à ce que l’on crée pour lui un poste de contrôleur spécial au sein de la compagnie qui sera confiée, à la demande de nouveaux investisseurs genevois, à une direction unique.

Vessaz doit quitter son poste et entame une traversée du désert de trois années, qu’il remplira par de juteuses opérations financières, où son habileté est reconnue, et par un intense travail politique. Il entre au Conseil des Etats en 1875, qu’il présidera bientôt, puis, en 1878, au Conseil national, dont il assumera également la présidence. La même année, il retrouve un emploi, fort rémunérateur, comme receveur pour le district de Lausanne. Commence alors son « règne » sur le canton de Vaud, que le départ de Louis Ruchonnet pour Berne va parachever. Député, jusqu’en 1879, conseiller national, il coordonne ce que les libéraux dénonceront comme une sorte de gouvernement parallèle, bien plus puissant que le Conseil d’Etat légalement élu et où se rencontrent tous les notables du radicalisme: Emile Paccaud, Charles Estoppey, le futur conseiller d’Etat Adolphe Jordan-Martin, les jeunes Ruchet, Soldan, Eugène Ruffy et Ernest Decollogny, tôt enlevé au seuil d’une brillante carrière, l’avocat Louis Paschoud et le colonel Fonjallaz, tous deux sur le point d’être élus au Conseil national. Omniprésent, Vessaz crée l’ancêtre du parti radical moderne, l’Association démocratique vaudoise, après que Louis Paschoud et le futur conseiller d’Etat Lucien Decoppet en eurent lancé l’idée lors du banquet célébrant l’élection de Ruchonnet au Conseil fédéral, en 1881.

Son départ du Conseil national n’écorne guère sa puissance. Il avait su anticiper un vote des Vaudois en faveur d’une loi empêchant les conseillers nationaux d’assurer leur ordinaire par de lucratives prébendes étatiques. En délicatesse avec le chef du Département des finances, le radical et ancien président du Cercle démocratique Jules Brun, à qui il ne pardonne pas de se rapprocher des libéraux, Vessaz avait souhaité éviter une crise qui se serait sans aucun doute focalisée sur sa personne. C’était bien vu, la loi est acceptée, mais les radicaux qui devront abandonner leurs fonctions bernoises seront remplacés… par d’autres radicaux, au grand dam des libéraux, instigateurs de l’opération!

Vessaz effectue son retour dans les affaires ferroviaires en 1886, au sein de la compagnie de la Suisse occidentale et du Simplon, fruit de la fusion entre l’Ouest-Suisse et la compagnie du Simplon. Son directeur, l’ancien conseiller fédéral Paul Cérésole, avait définitivement échoué dans sa tentative de débloquer le dossier du Simplon. En dépit de ses négociations innombrables avec les Français, de ses relations privilégiées avec le clan de Gambetta, Cérésole doit reconnaître son échec. Sentant l’hostilité à son égard croître dangereusement, il jette l’éponge. Les radicaux ne se contentent cependant pas d’un changement à la direction de l’entreprise. Ce qu’ils veulent, c’est purger le conseil d’administration. Vessaz peut ainsi fêter son grand retour dans le monde agité des chemins de fer. Il obtient un siège au conseil et sera chargé de régler l’épineux problème du Simplon. Il va y investir tout son talent manœuvrier et toute sa fougue. Renonçant à la piste française, il négocie âprement avec les Italiens et multiplie, toujours en accord avec Ruchonnet, les plans financiers, notamment avec des banquiers allemands.

En 1875, avec son ami, il avait déjà soutenu une fusion entre l’Ouest-Suisse et la compagnie bernoise de Jura-Berne. En vain: les oppositions, attisées notamment par les libéraux, avaient été trop nombreuses; les Vaudois craignaient par trop que le siège de la nouvelle compagnie n’émigre à Berne. En 1890, une nouvelle opportunité se présente. Alors que la Confédération rechigne à s’engager dans l’opération du Simplon, Vessaz et Ruchonnet poussent à nouveau à une fusion avec le (désormais) Jura-Berne-Lucerne. Le sauvetage du Simplon paraît passer par une alliance financièrement solide. Toujours contre l’avis des libéraux, qui accusent les radicaux de brader le patrimoine cantonal, la fusion se réalise. La nouvelle compagnie s’appellera le Jura-Simplon. Mais les désillusions ne vont pas tarder à se succéder.

Vessaz, constamment sous la pression de ses adversaires qui le soupçonnent de tirer toutes les ficelles dans le canton et d’empêcher toute réconciliation avec eux, s’aperçoit qu’il a été joué, que les Bernois n’ont guère l’intention de se mobiliser pour le Simplon. Il se bat alors contre le rachat d’une compagnie alémanique par la Confédération, sur laquelle le peuple doit s’exprimer en 1891. Le projet sera rejeté, causant la chute du conseiller fédéral Emil Welti. Sa haine envers les Bernois est maintenant exacerbée. Il poursuit le directeur bernois du Jura-Simplon, l’accuse d’avoir comprimer abusivement les dividendes. Il obtient sa démission en 1892, puis son remplacement par le radical vaudois Ernest Ruchonnet. Mais la vengeance des Bernois ne se fait pas attendre. Le Bund révèle bientôt que Vessaz, au moment de la fusion, aurait reçu un énorme pot-de-vin de la part des banquiers allemands. Sa réaction trop molle oblige les radicaux à se désolidariser de leur chef. Il démissionne sur-le-champ de toutes ses fonctions et, malgré l’offre de Ruchonnet de renouer avec lui, s’exile à Constance, où vit sa fille. Il y mourra, en 1911.

© Olivier Meuwly, Lausanne 2003

Publié le 1 janvier 2023

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