
Françoise-Louise de Warens (1699-1762)
Grandes figures vaudoises
Françoise de la Tour naît à Vevey le 31 mars 1699. Tôt orpheline de mère, elle ne sait pas encore, lorsqu’elle découvre la nature au domaine des Bassets, que son destin se glissera dans une fabuleuse épopée où s’entremêlent politique, affaires et rayonnement intellectuel. Son puissant charisme, où la charité le dispute parfois à la naïveté, fournit toutefois à Louise une inépuisable énergie à laquelle aucune difficulté ne résiste.
Mariée à l’âge de 14 ans à Sébastien-Isaac de Loys, seigneur de Warens, la pieuse Françoise-Louise, éduquée dans une ambiance piétiste, est une femme de caractère. Alors que ses liens avec son époux se distendent, elle mène sa propre existence, prend amant et s’initie au monde des affaires. En 1725, elle crée une manufacture de bas, qui périclitera.
C’est l’année suivante que se produit le grand tournant de la vie de Françoise-Louise. Séduite par les charmes de l’Eglise après un voyage à Aix, elle suit les conseils d’une parente résidant en Savoie, s’enfuit et, obéissant à de “vrais motifs de conscience” selon Anne Noschis, embrasse la religion catholique. Scandale à Vevey, mais aubaine à Turin, où le roi de Piémont-Sardaigne célèbre ce ralliement inespéré et enrôle la convertie à son service.
Bénéficiaire d’une pension, heureuse à Annecy et dans sa nouvelle confession, Madame de Warens, désormais nantie du titre baronne, ne tarde pas à manifester son attachement à sa nouvelle patrie, récolte d’utiles renseignements et reçoit en ses murs des aventuriers qui rêvent de libérer le Pays de Vaud de la férule bernoise.
Car la belle espionne a fait sien le projet de son royal protecteur : récupérer les anciennes terres savoyardes sises au nord du Léman! Alors, Françoise-Louise, une “Major Davel en jupon”, comme le suggère sa biographe? En tous cas, la monarchie sarde finira par renoncer à ses ambitions conquérantes.
D’autres joies l’attendent: celles de l’esprit. En 1728, en route vers Turin, Rousseau fait halte chez Madame de Warens. Les écrits et la pensée de “Petit” témoignent de l’influence que “Maman” a eue sur lui: l’initiation qu’elle lui a prodiguée ne fut pas qu’intellectuelle, mais n’en a pas moins permis au jeune Rousseau de modeler sa réflexion psychologique et pédagogique, que l’on retrouvera dans ses futurs grands textes.
Rousseau parti, Madame de Warens, toujours généreuse, s’adonne aux affaires: mines de fer au Mont-Blanc, fabrique de poteries, domaine campagnard aux Charmettes, acquis avec Jean-jacques, houillères près de Chambéry. “Businesswoman” de talent, elle se fera néanmoins évincer ses entreprises et finit sa vie modestement. Elle s’éteint le 29 juillet 1762.
Anne Noschis, Madame de Warens. Educatrice de Rousseau, espionne, femme d’affaires, libertine, Editions de l’Aire, Vevey, 2012