
Paul Maillefer (1862-1929)
Grandes figures vaudoises
Né en 1862 à Ballaigues, Paul Maillefer emprunte un itinéraire original. Orphelin de père très tôt, il grandit dans un contexte économique précaire. Il commence sa carrière en décrochant un poste d’instituteur dans le canton de Neuchâtel. L’expérience se solde par un échec et oblige Maillefer à démissionner. Sur le tard, à 22 ans, il va alors entreprendre des études universitaires à l’Académie de Lausanne. Il opte pour les lettres et sera le premier à obtenir un doctorat ès lettres de la jeune Université. Zofingien, comme la plupart des étudiants en lettes d’alors, bientôt franc-maçon, il est ébloui par un discours de Ruchonnet, en 1890; un Ruchonnet qu’il rencontrera plus tard à Berne dans le cadre de la rédaction de sa thèse. Cette rencontre va sans doute l’inciter à adhérer au parti radical qui, par la synthèse qu’il propose entre libéralisme et Etat social, attire une foule de jeunes universitaires de la petite bourgeoisie.
En 1892, Eugène Ruffy, chef du Département de l’instruction publique et des cultes, lui accorde un poste de privat-docent à l’Université. Maillefer peut ainsi donner libre cours à sa vocation d’historien. Le jeune docteur en lettres fonde dans la foulée la Revue historique vaudoise et entame son cursus politique. Elu en 1893 au Conseil communal de Lausanne et en 1894 à la Municipalité, où il reprend le dicastère des écoles, il participe en première ligne aux mutations importantes que connaît la capitale: à la même époque, les services industriels sont créés, de même qu’une société de tramways; le développement industriel de la ville est pris en main; l’éclairage au gaz est inauguré; dans le domaine de l’instruction, des écoles enfantines sont mises sur pied. Mais les luttes politiques, en cette fin de XIXème siècle, sont dures, les interpellations entre radicaux, libéraux et socialistes souvent vigoureuses. Pris à partie sur la gestion de l’école, Maillefer préfère démissionner en 1899. Il part enseigner l’histoire à l’Ecole normale, ce qui l’oblige à abandonner son mandat au Grand Conseil, où il était entré en 1897.
Il reste cependant conseiller communal et est nommé par Marc Ruchet, successeur de Ruffy au Département de l’instruction publique, professeur extraordinaire d’histoire suisse à l’Université. Son cours ne sera toutefois que peu suivi. C’est la célébration du Bicentenaire de l’entrée du canton de Vaud dans la Confédération qui permettra à Maillefer de sortir définitivement de l’anonymat. Appelé à rédiger une Histoire du canton de Vaud dès les origines, il composera ensuite plusieurs manuels scolaires. Historien en vue, il renoue bientôt le fil de sa carrière politique, interrompu brusquement en 1899. En 1909, il retrouve sa place au sein de l’exécutif lausannois, en 1910 il est syndic, en 1911 il est élu au Conseil national et, en 1912, il succède au Grand Conseil à Ernest Chuard, qui vient d’être élu au Conseil d’Etat.
La Première Guerre mondiale braquera des projecteurs nationaux sur Maillefer. Aussi germanophobe qu’antisocialiste, il est le premier à dénoncer l’affaire dite des trains: il révèle au Parlement qu’ordre avait été donné de dépêcher des troupes en Suisse romande en cas de trouble, alors qu’était attendu le jugement des colonels qui avaient été accusés de frayer d’un peu trop près avec l’Allemagne. Bien que considéré comme un radical de gauche, il milite pour le fédéralisme, puis contre l’initiative du socialiste Rothenberger, qui demandait de proroger l’impôt de défense nationale pour financer l’AVS. Il s’opposera de façon tout aussi virulente à l’amnistie que certains réclamaient en faveur des meneurs de la grève générale de 1918. Par ce combat, il dresse le cadre de l’action des radicaux vaudois au lendemain du conflit. Favorables à un Etat social bien charpenté, ils se refusent à accroître la charge fiscale et à compromettre la souveraineté des cantons au nom d’un égalitarisme socialiste qu’ils récusent viscéralement. Cette attitude consolidera l’alliance entre radicaux et libéraux, scellée en 1892 « sur le cadavre de Vessaz », pour reprendre l’expression de Louis Ruchonnet.
Son comportement durant la guerre lui aliéneront de précieuses sympathies lorsque l’heure de la succession de Decoppet aura sonné. Alémaniques et socialistes, nombreux depuis qu’a été introduit le suffrage proportionnel, s’insurgent contre la candidature du syndic de Lausanne qu’osent proposer les radicaux vaudois. Maillefer est battu par son ami intime Chuard, qui doit accepter en désespoir de cause son élection. Des luttes internes au parti radical vaudois expliquent aussi l’échec de Maillefer. Une nouvelle génération tend à s’imposer, contre la vieille garde régentée notamment par Félix Bonjour, l’inamovible rédacteur de La Revue, conseiller national et ancien président du pari radical suisse. Des fissures apparaissent, qui contribueront à un important changement de génération à la fin des années 20, dont Bonjour sera d’ailleurs l’une des principales victimes.
Maillefer démissionne de son poste de syndic en 1921 et devra se consoler avec la présidence du parti radical vaudois, dès 1924, et la présidence du Conseil national, en 1927. En 1928, il refuse d’être porté candidat au conseil fédéral et laisse la place à Pilet-Golaz: le basculement générationnel sera réalisé. La faillite d’une banque, dans le conseil d’administration de laquelle il siégeait, ternit ses derniers mois de vie. Il décède en janvier 1929.
© Olivier Meuwly, Lausanne 2003