Jean-Louis-Benjamin Leresche (1800-1857)
Grandes figures vaudoises
Né en 1800, originaire de Ballaigues, Jean-Louis-Benjamin Leresche est un représentant particulier du jeune radicalisme. Licencié en théologie de l’Académie de Lausanne, Zofingien pendant ses études, Leresche appartient à une sorte de bohème qui s’enchâsse dans le flanc gauche du parti vainqueur de la Révolution de 1845. Si Delarageaz, Meystre et Eytel, eux aussi issus de cette mouvance gauchisante, s’entendent à subordonner leurs convictions politiques aux réalités d’un pouvoir auquel il aspirent fondamentalement, d’autres radicaux continueront à végéter dans une nébuleuse idéologique incertaine, mais pas sans influence sur la marche du parti. Leresche est l’un d’eux.
Dans ce groupe, plusieurs figures intéressantes méritent d’être évoquées. Georges Kehrwand d’abord, frère de l’avocat et futur conseiller national Vincent Kehrwand, riche commerçant, élu député peu avant que la mort ne l’enlève, en 1842. Seul radical que l’on puisse réellement rattacher au courant fouriériste, il consacrera sa fortune à l’édification d’ateliers nationaux et peut-être de phalanstères, sur le modèle de ceux inventés par son philosophe de référence. Plus turbulent, Jean-Pierre Luquiens est un agitateur, rédacteur du journal satirique Le Grelot; il tâtera de la geôle à la veille de la Révolution et, libéré au terme des journées de février, il sera porté en triomphe par les Lausannois, puis envoyé sur les bancs du Grand Conseil. Samson Milliquet enfin, élu en 1842 déjà syndic, puis député, de Pully, est lui aussi solidement ancré dans cette « ultra » gauche radicale. Peut-être fondateur d’un club communiste, avec Delarageaz et Kehrwand, proche de Mazzini qu’il côtoie au sein de la Jeune Suisse, il se préoccupe particulièrement des questions scolaires, comme Leresche d’ailleurs.
Leresche aussi fréquente le mouvement mazzinien (contrairement à Druey), avant de s’acoquiner avec le monde interlope des réfugiés allemands en séjour à Lausanne. Il y rencontre notamment l’anarchiste allemand Wilhelm Marr, qui prétendra abusivement avoir joué un rôle majeur lors des journées révolutionnaires. Lorsque celui-ci est expulsé, en 1847, par le gouvernement radical, qui doit à tout prix donner des gages de sa sévérité envers les réfugiés, il commet un pamphlet assassin contre les chefs radicaux, Druey, Delarageaz, dont il dénonce les visées communistes. Le second nommé avait en effet partagé avec nombre d’émigrés allemands ses sympathies communistes. Seul Leresche échappera à la vindicte de l’exclu, adepte de l’anarchisme individualiste professé par Max Stirner… Leresche était-il pour autant anarchiste? On ne peut pas l’affirmer. Esprit plutôt exalté, il est surtout un écorché vif, attiré par la révolte plutôt que par la construction d’un système, d’un régime. Actif, dans les coulisses, lors de la Révolution de 1830, puis lors de celle de 1845, il disparaît lorsque sonne l’heure de l’organisation!
Plus que la philosophie anarchiste ou hégélienne, c’est la personne de Druey qui le fascine. Il en sera la premier biographe et une amitié sincère unira les deux hommes, qui ont siégé ensemble au comité de l’Association nationale. L’un des principaux animateurs des assemblées populaires qui paveront la route vers la Révolution, habile à les convoquer pour faire pression sur le Grand Conseil en train de rédiger la nouvelle charte cantonale, chancelier du gouvernement provisoire en 1845, Leresche a toutefois régulièrement besoin de l’appui de son ami pour trouver de l’embauche. Druey tente même de le recommander au gouvernement bernois pour un poste d’enseignant, mais sans succès. Leresche, traducteur au Dictionnaire géographique et statistique de la Suisse de Lutz, vivra longtemps du journalisme. Rédacteur par intérim du Nouvelliste vaudois, il anime divers journaux satiriques vaudois, comme le Charivari vaudois. Ces feuilles, d’après Druey, n’atteindront jamais le niveau de leurs modèles français… « Ame damnée » du futur conseiller fédéral, selon l’affirmation d’un conservateur démis de ses fonctions en 1845 et viscéralement antiradical, Leresche est engagé comme maître à l’Ecole normale en 1847. Il ne détiendra qu’un seul mandat politique: conseiller communal à Lausanne. Il décède en 1857.
© Olivier Meuwly, Lausanne 2003