Jean-Pascal Delamuraz (1936-1998)
Grandes figures vaudoises
Né en 1936 à Paudex, Jean-Pascal Delamuraz est le fils du syndic de sa cité natale. Licencié en sciences politiques de l’Université de Lausanne, président de l’Association générale des étudiants, il fait ses premiers pas dans la vie publique grâce à l’Exposition nationale, dans laquelle il occupe la fonction de directeur administratif adjoint. Repéré par les chefs radicaux qui patronnent l’événement, il est chargé, ensuite, d’organiser le secrétariat permanent du parti radical vaudois, avant d’en prendre la direction. Conseiller communal de Lausanne en 1966, il est élu en 1969 à la Municipalité de la capitale vaudoise. Il dirige d’abord le dicastère des travaux publics avant d’accéder à la syndicature, en 1974.
Extrêmement populaire, ancré dans sa « commune » d’Ouchy, très fidèle au Cercle démocratique, il se dresse comme la figure de proue du radicalisme des années 70 et 80. A la suite de Chevallaz, il fait passer l’épicentre du parti radical du Château cantonal à l’Hôtel de Ville. Lorsque la ville achèvera, de par l’évolution de sa structure sociologique, de virer à gauche, après le retrait du successeur de Delamuraz à la tête de l’exécutif lausannois, le radical Paul-René Martin, le réveil sera d’autant plus dur pour les radicaux… Il n’empêche que pour l’instant la personnalité de Delamuraz rayonne sur le canton et, à bien des égards, finit par incarner, à l’intérieur et à l’extérieur du canton, le radicalisme vaudois. Favorisé par une conjoncture économique qui ne subit pour l’instant qu’imperceptiblement les contre-coups des bouleversements en cours, Delamuraz peut paver avec soin la route qui le conduira à Berne.
Conseiller national en 1975, soit peu après son accession à la syndicature de Lausanne, il personnifie le radicalisme modéré et traditionnel de son canton. Mais, à l’instar des autres responsables radicaux de son époque, il perçoit mal les conséquences politiques de l’émergence de nouvelles forces, les ruptures qui creusent peu à peu le corps social vaudois. Pourtant, le parti radical ne cesse de s’affaiblir et c’est Delamuraz en personne qui doit se sacrifier pour sauver le troisième siège radical au Conseil d’Etat. En 1981 en effet, la succession d’Edouard Debétaz devient vite problématique. Le peu populaire avocat yverdonnois Robert Liron sort malmené du premier tour. L’état-major du parti prend peur et se tourne vers Delamuraz, qui enlèvera alors sans difficulté une victoire qui n’apparaît plus que personnelle. Il reprend alors de son prédécesseur le Département de l’agriculture, de l’industrie et du commerce.
Mais le Château ne représente qu’un bref détour sur le chemin du Palais fédéral. En 1983, lorsque s’ouvre la succession de Georges-André Chevallaz, la candidature de Delamuraz est aussi évidente qu’incontestée. Il est élu au Conseil fédéral sans difficulté et y siégera jusqu’en mars 1998. Au Conseil fédéral, en prise maintenant avec les aléas d’un gouvernement, Delamuraz dessine au plus haut niveau, par son action, les contours de ce radicalisme populaire qu’il avait éprouvé dans une commune où la collaboration avec la gauche s’était institutionnalisée après la seconde guerre mondiale, et dont il était l’un des derniers représentants. D’abord chef du Département militaire, il migre en 1986 au Département de l’économie publique, où il se profile contre un certain radicalisme alémanique qui a intégré les éléments fondamentaux de la révolution libérale des années 80. Il n’hésitera pas à faire front contre les revendications parfois extrémistes de l’économie. Delamuraz sera ainsi souvent défendu par la gauche contre la droite, comme en 1997, où il s’oppose à une libéralisation excessive de la loi sur le travail. Il est président de la Confédération en 1989 et 1996.
Au contact des réalités internationales, le radical vaudois se penche avec avidité sur le dossier des relations entre la Suisse et l’Europe, dès le début des années 90. La bataille pour l’Espace économique européen deviendra ainsi, pour lui, un combat personnel. Trop personnel peut-être. Pas toujours bien soutenu par ses collègues, il incarne désormais un discours pro-européen qui se heurte à un puissant scepticisme, avant tout en Suisse alémanique. Et la déclaration du Conseil fédéral selon laquelle l’adhésion à l’Espace économique ne représente qu’une étape vers une adhésion pleine et entière à la Communauté européenne, elle-même sur point de se transformer en Union européenne, met le feu aux poudres. Visionnaire ou imprudent? En décembre 1992, une défaite cruelle anéantit les espoirs de la Suisse de se rapprocher de l’Europe et Delamuraz, par sa réaction violente au soir du scrutin, sortira isolé. Il reste toutefois fidèle à son engagement européen, malgré le doute qui gagne ses compatriotes, même en Suisse romande: il mène avec succès de difficiles négociations bilatérales avec l’Union européenne et ouvre à la Suisse les portes de l’Organisation mondiale du commerce; il est en outre nommé président d’honneur du Nouveau mouvement européen suisse (NOMES). Il reconquerra l’estime du pays quand il adoptera une attitude ferme lors de l’affaire dite des « fonds juifs », alors que la Suisse est traînée dans la boue par des organisations juives soutenues par les Etats-Unis, pour des fautes que même l’histoire officielle n’arrivera pas établir définitivement.
Mais le libéralisme modéré dont Delamuraz se fait l’apôtre à Berne ne parvient pas à insuffler un nouveau dynamisme au parti radical, qui continue à se déliter. Les années 80 maintiennent l’illusion, à l’ombre d’une « formule magique » qui paraît insubmersible. Pourtant, celle-ci arrive elle aussi en bout de course. En 1994, le radical Philippe Pidoux, représentant de l’aile droite du parti et prophète de la réforme de l’Etat, n’est pas réélu. Le parti perd un siège et va affronter des années difficiles, ne réussissant que péniblement à rassembler ses ailes droite et gauche sous un toit fédérateur. Et Delamuraz, figure intégratrice hors du commun, autorité « morale » du parti envers et contre tout, mais absorbé par ses tâches fédérales et par la maladie qui le ronge, n’est plus à même d’apposer sa marque sur le destin du parti. L’a-t-il seulement voulu? Sa difficulté à se dessaisir du pouvoir malgré le mal qui l’accable, son incapacité jointe à celle de son parti à préparer une personnalité à même de sauvegarder le siège radical vaudois au Conseil fédéral, permettent en tout cas de poser la question. La mort emporte le si populaire Jean-Pascal six mois après sa démission, en octobre 1998.